
À la lecture de son « quickstart », je lui ai mis un petit taquet derrière l’oreille, car la simplicité de son système de résolution ne m’est pas apparu très folichone, voire paresseuse. Je n’y voyais qu’un paradigme de résolution étriqué ; ce qu’il est en termes de mathématiques, soit dit en passant. Pour autant, le D6 Forge s’est révélé être une excellente surprise sur un aspect innatendu : la vitesse et la densité de la gamme qui a fleuri autours du Core Rules Book. Une gamme déjà impressionnante au moment d’écrire ces lignes et , c’est à souligner deux fois, entièrement portée par un seul homme. Un auteur fécond : Sean Benoit.
Le démarrage de la gamme a eu lieu sur DrivethruRPG fin décembre 2024 avec le Core Rules Book. Depuis cette date, l’auteur a délivré 10 productions supplémentaires en moins de 3 mois. Le malin avait pris de l’avance, du moins c’est ce qu’il confirme dans une discussion.

Curieux dans un premier temps aprés avoir taquiné du Quickstart, j’ai reniflé l’objet ludique sur DrivethruRPG, visualisé ma prime de fin d’année et j’ai sauté le pas. Après tout, ce blog parle essentiellement de système générique, donc il me faut de la matière pour faire vivre cette ligne éditoriale. Me voilà donc, dans un premier temps, en possession du PDF du Core Rules Book du D6 Forge. Dix huit euros pour 213 pages couleurs bien maquettées avec un sommaire très précis et … ATTENTION point litigieux … que des illustrations issues de l’IA.
Concernant l’usage totale et sans cachotterie de l’IA, je comprendrai – ou du moins ferais-je l’effort de comprendre pour caliner mon Karma – que certains, intransigeants et sans concession, passent leur chemin de cette bafouille dès à présent.
Pour ma part, je suis encore SUISSE et je garde les yeux ouvert sur la course du Monde.
Disons que pour les petits créateurs qui produisent des JdRs de niche sans Financement Participatif, et encore plus lorsqu’il s’agit de purs systèmes sans univers, mais qui ont le goût des belles choses, l’usage de l’IA ne me dérange pas le moins du monde quand elle ne copie pas le style d’artistes.

Ici, les illustrations générées par l’IA sont agréables et homogènes, mais surtout l’on remarque, sans ambiguïté, qu’elles viennent de l’IA. On peut même parfois détecter des artefacts propres aux IA actuelles. L’auteur – Sean Benoit – a pris consciemment un risque à ce sujet en ayant à coeur de nous livrer un beau design joliment illustré sur l’ensemble de sa gamme. Et même si je me fiche un peu, voire souvent, des illustrations, j’aime aussi que mon œil soit flatté par de belles images.
Sur ce D6 Forge, c’est plutôt le cas pour l’ensemble de la gamme actuelle. Les couvertures sont réussies et donnent une bonne idée des illustrations intérieures dont l’homogénéité de style apporte une harmonie sympathique à l’ensemble. En utilisant l’IA, l’auteur s’est sans contexte fermé à une part du marché tenue par les détracteurs des IA génératives. Mais, on ne peut pas lui reprocher d’avoir utiliser l’IA sans un certain art et un certain goût. Dont acte, j’apprécie dans ce D6 Forge d’avoir des illustrations couleurs qui soutiennent le texte.
Dans le même ordre d’idée, la maquette intérieure est très propre et reconnaissable entre toute puisqu’elle a été faite avec https://homebrewery.naturalcrit.com. Franchement c’est « clean » et lisible. Il faudra juste s’habituer aux encadrés très « machine à écrire ».

Reste à ce jour (mois de Mars 2025) un souci dans les PDF mis à disposition. Les images possédent des masques du meilleur goût permettant de les fusionner avec élégance dans les pages et avec le texte. Malheureusement, certains lecteurs PDF que cela soit sur Androïd, Linux ou Windows, n’interprètent pas les masques, et les images débordent sur le texte, rendant tout ou partie d’une page difficilement lisible. Selon le lecteur utilisé, cela survient sur Windows, Androïd ou Linux et possiblement Mac que je n’ai pas testé. Par exemple, pas de souci avec PDF-viewer sur Windows, mais soucis avec Sumatra (orienté ebook certes mais qui ouvre aussi les PDF). Pas de souci avec Okular sur Linux, mais souci avec Le viewer de Gnome. Pas de souci avec le lecteur de Kdrive sur androïde mais souci avec EpubReader.
Bien que cela reste aléatoire en fonction du lecteur, cela ne devrait pas arriver ! D’ailleurs ce défaut technique vaut une note catastrophique au Core Book sur DrivethruRPG. Une note sur la forme pure et non sur le fond. L’auteur se défend de s’être aperçu du problème, car il n’a pas eu l’idée de tester divers lecteurs (hum hum). Néanmoins, il se doit d’interroger les réglages de son exportation en PDF. Possible que cela vienne d’homebrewery. Au 28 mars, l’affaire n’est pas encore réglée. Gageons, que cela sera pris en compte si l’auteur ne veutpas se retrouver avec des commentaires qui mettraient en péril ses ventes.
Cela dit, la plupart des lecteurs interprètes sans problème les PDF du D6 Forge. Mais les clients sont ROI et s’attendent à ne pas devoir changer de lecteur de PDF.
Fin des points vraiment « noirs ». Entrons dans le système.

Le slogan de ce système générique est le suivant : “One Die. Endless Adventures.” ou encore « a universal single die roleplaying game« . Hum, Elemental (oui je sais encore lui !), un autre système utilisant 1d6, a pour slogan « One rule, many applications« . L’un met l’accent sur l’unique d6 l’autre sur une règle unique. Deux approches de communication différentes, mais aussi deux tonalités différentes comme je m’en vais vous l’expliquer.
Voici comme D6 Forge se présente en quatrième de couverture et je commente en même temps !
« Plongez dans des aventures sans limites avec un seul dé à six faces« .
– Alors factuellement Vrai. D6 Forge utilise uniquement un jet de 1d6 tout le temps pour toutes les mécaniques ou les genres. C’est la différence avec Elemental qui peut employer deux ou trois dés pour certains tests.
« Que vous exploriez d’anciens donjons, que vous enquêtiez sur des mystères cosmiques ou que vous réalisiez des rêves de super-héros, D6 Forge vous offre tous les outils dont vous avez besoin dans un système élégant. »
– Alors c’est Vrai, mais par omission. Disons que le Core rules book donne une base solide d’outils pour créer son univers. MAIS, les autres « tomes » du système sont à mon sens nécessaires pour disposer de toutes les possibilités et règles optionnelles permettant l’adaptation d’un maximum de genres et d’ambiances. De fait, il y a plein de suppléments de genre prévus !
– Système élégant : élégant n’est pas le terme qui m’est venu immédiatement. Disons un système très simple. Certains y verront de l’élégance, j’y vois moi un système compact et malléable dans les limites qu’il s’impose. Le Cypher System pour moi est élégant, car il conjugue des règles et un parti pris original couplés à une certaine complexité, avec une mécanique de résolution claire et simple de prise en main ; et tout cela s’emboîte parfaitement.
Le D6 Forge n’invente rien, pas d’originalité. Cependant, il a une belle façon de maîtriser sa philosophie, même s’il mériterait plus d’éclaircissements sur l’équilibrage des probabilités qui sont très fragiles.

« Simple et profond
Lancez un seul dé, ajoutez les capacités de votre personnage et regardez l’histoire se dérouler. Les règles intuitives de D6 Forge vous permettent de jouer en quelques minutes tout en offrant des possibilités infinies de développement et de personnalisation de votre personnage. »
– On ne peut contredire le terme « simple ». C’est la force de ce système du moins mathématiquement parlant. Tout le monde comprendra les règles en 5 minutes chrono. « Profond » ? Hé oui. Le système présente habilement une certaine profondeur même s’il y a des boulons à resserrer tout de même. Nous verrons comment et en quoi.
– Règles intuitives : on peut l’affirmer globalement. En revanche comme tout système simple, il faut souvent choisir comment utiliser la règle dans sa mécanique la plus nue. Cela demande au MJ et participants de bien penser et analyser les situations et d’éventuellement faire assaut de concertation.
– La personnalisation des personnages est elles infinie ? Certes ! Car les règles exposent comment créer de nouvelles capacités, de nouvelles compétences, etc. Pour aller sur de « l’infini », il faut se munir à minima de suppléments et compléments de genre : ceux sur la magie (Sword & Sorcery) et sur les supers pouvoirs (Heroes Rising) par exemple. Cela posé, il y a déjà de quoi se faire plaisir et les règles permettent comme pour Fate d’inventer beaucoup de choses à l’aide de quantité d’exemples. Attention cependant, il est très facile sans le vouloir de déséquilibrer complètement le système. A moins que cela soit ça vraie philosophie (nous y reviendrons).
« N’importe quel genre, n’importe quelle histoire
De l’épée et de la sorcellerie aux futurs cyberpunk, D6 Forge s’adapte parfaitement à n’importe quel environnement. Créez exactement le jeu auquel vous voulez jouer grâce à des règles flexibles qui conservent leur cohérence dans tous les genres. »
– C’est vrai comme pour d’autres génériques. Avec D6 Forge cela est simple dans l’approche et l’on peut s’appuyer aisément sur les listes déjà présentes dans les ouvrages pour donner corps à son imaginaire. La modélisation est quasiment toujours la même et la didactique et la pédagogique qui irriguent la gamme sont d’une grande aide. Le supplément sur la création d’univers – nommé « Worlds of Wonder » est un très bon supplément si l’on s’attaque à la création de son propre univers.
En résumé, D6 Forge ne trompe (presque) pas la clientèle. Mais attention, il n’est peut-être pas si simple à piloter que cela, du moins pour le total débutant. Sa simplicité de départ et parfois son équilibrage, perd un peu de sa superbe à la lecture du Heroes & Powers et de certains suppléments de genre. Je dirais donc qu’au delà du Core Rules Book, déjà avec le Masters Tome c’est une fausse simplicité. Cela dit, en effet, le système possède bel et bien ce que je qualifierai de pureté mono dé.
Je vais détailler tout cela.
Note : petit détail que j’apprécie, le Core Rules Book ne fournit pas vraiment de feuille de personnage chiadée et véritablement officielle. Je ne compte pas la version Homebrew présente dans les annexes. Bien au contraire, soulignant ainsi sa force « boîte à outils » , un chapitre est consacré à la composition d’une telle feuille. Ça, c’est un truc que j’aime beaucoup. C’est complétement anecdotique, nous sommes d’accord. Mais j’avoue que pour Fate ou Questworlds et quelques autres systèmes, je fais mes feuilles de personnage directement sur une page blanche.

Explorons Le Core Rules Book du D6 Forge
Dans le Core Rules Book on retrouve le coeur de la motorisation de ce système.
Donc tout se joue avec 1d6 par rôliste. Il y a des points de vie (~ une petite dizaine) et des points de santé mentale (~ environ un petite dizaine), des compétences larges (5 de bases et 5 plus spécialisées), des capacités spéciales au sens larges, des équipements.
La mécanique de résolution est classique. Il faut battre une valeur cible relative à la difficulté de base de l’action avec 1d6 + caractéristiques + divers bonus malus provenant de compétences-capacités-conditions-environnement etc.
Là où tout se joue (ou presque) c’est l’échelle des difficultés qui va indiquer à sa manière la manœuvrabilité du système. Le D6 Forge propose une échelle de difficulté de 3 à 6, soit juste quatre niveaux !
Je sens l’interrogation pointée. Sans être très fortich en math, il semble évident qu’il sera assez facile de réussir très souvent.
En effet un attribut à +2 et une compétence (+1) donne déjà +3. Donc une chance sur deux, soit 50% de réussir une action très très difficile à 6. Cela monte à 75% pour une action difficile avec une valeur cible à 5.
OK vous vous dites, ben « bonjour le challenge de CM2 ». Sauf que le 1 naturel sur le D6 est un type de « fumble », et le 6 un type de « critique ». Il y a donc 17% de « fail » possible même si un jet est assuré à 100%.
Elemental (oui encore) est très différent à ce sujet. Dans son cas, le fumble est beaucoup plus difficile à obtenir (moins de 3%) et donc rare ; alors qu’avec la simple logique du D6 Forge, il prend une dimension dangeureuse plus présente. Ce « 1 naturel » pose le doute possible sur n’importe quelle action assurée à hauteur de 17% d’échec, ce qui représente un peu plus de trois fois le pourcentage de fumble d’un OSR ou d’un D&D.

Cela me convient mieux d’autant plus que l’auteur propose une logique d’application du Fumble qui est totalement alignée avec ma façon de voir les choses. Le terme « fumble » n’est d’ailleurs pas utilisé par l’auteur. Il lui préfère « complication » ou « effet de destin ».
Dans l’esprit du système le « 1 naturel » n’est pas un échec, mais une complication qui va pouvoir densifier l’histoire, lui donner une orientation, créer des opportunités et mettre le ou les personnages face à de nouveaux challenges en évitant la logique de frustration. C’est un OUI MAIS ou un NON MAIS. L’échec pur finalement ne provient que si le test échoue à égaler ou dépasser la valeur cible de la difficulté et ne fait pas « 1 naturel », ce qui devrait être assez rare compte tenu des mathématiques en lice dans ce D6 Forge.
Pour AUTANT, l’échelle de la table de difficulté (3 4 5 6) demeure selon moi une fausse simplicité du système surtout lorsqu’on injecte les règles avancées. C’est même le problème majeur du système (de mon point de vue s’entend).
Certes cela reste simple à corriger (légèrement), mais le supplément Heroes & Powers tend à faire déraper tout de même l’équilibrage.
Le Core Rules Book et le Masters Tome explique clairement qu’un test de réussite/échec met en jeu une base classique et fondamentale : une caractéristique + une compétence pour laquelle on est entraînée. Rien qu’avec cela, on peut atteindre un 1d6 + 4 (mind à +3, + analyse à +1 = +4).
Les actions difficiles à 5+ sont donc quasi immanquables sauf à faire un 1, mais alors c’est réussi quand même, mais avec une complication. Et si l’on abaisse le Mind à +2 c’est tout de même un test à 1d6+3 pour atteindre la cible de 5+ : soit 83% de chance de réussite.
A cela s’ajoute « vanilla » des bonus-malus de situation et/ou de condition à coup de +1 et de -1. La granularité de l’échelle de difficulté étant très faible, le MJ devra manier bonus/malus avec circonspection et prudence car les probabilités se modifient extrêmement vite et fortement.
Jusque là c’est selon moi assez jouable et même agréable à gérer car très simple pour le coup, MAIS dans une ambiance assez narrative.
Cela se complique avec certaines règles avancées notamment du Heroes & Powers. Les règles avancées du H&P apportent l’option de focus de caractéristiques. Cette spécialité propre à chacune des trois caractéristiques offre un +1 dans un cadre d’application précis. Ajoutons d’éventuels bonus d’équipement, le support du groupe, des pouvoirs et il est habituel de n’avoir à jeter le d6 que pour vérifier le « fumble » sur 1 car l’on dispose d’un bonus au dé très important (+5, +6, +7…).
Il n’y a plus de gros enjeux donc dans le lancé de dés. Le système devient alors extrêmement narratif !!!! On ne jette le dé que pour vérifier une potentielle complication sur un « 1 naturel ».
Si l’on veut disposer tout de même d’un peu des probabilités d’échec simple, il me semble alors important de jouer constamment avec des malus de situation pour affiner les pourcentages et apporter du challenge. Les règles ne mettant que très peut l’accent sur les malus, il me semble que le système est pensé pour propulser l’histoire de manière positive offrant un maximum de réussite aux personnages.
Ainsi, la lecture des règles du Core Rules book et des suppléments qui ajoutent des effets et des possibilités rendent la perception du pilotage du système parfois confuse car il est aisé de se dire que les persos sont omnipotents (sauf sur « 1 naturel » – heu je crois que vous l’aurez compris à force de le répéter).

Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il faut limiter certains bonus (max +3) et que certains bonus ne peuvent s’empiler ! Mais ce n’est absolument pas clairement mis en valeur dans les règles. C’est écrit dans des encarts mais pas vraiment souligné fortement. Le texte étant plutôt dense (sean Benoit est prolixe), il est facile de perdre de vue certains points de règles fondamentaux pour l’équilibrage.
Normalement, en dehors de trois caractéristiques + le focus (optionnel je le rappel car dans le supplément Heroes & Powers mais par la suite toujours utilisé) et des compétences, les bonus viendront des efforts de groupe, des conditions, de certains équipements. Pour les capacités spéciales ou les équipements généraux, il faut imaginer à la place d’un bonus mathématique des effets situationnels afin de ne pas exploser l’échelle de difficulté et des probabilités. Je ne crois pas que cela soit évident pour des rôlistes débutants de jongler avec des espaces narratifs pour maîtriser les probabilités. Pour les rôlistes aguerris qui recherchent du crunch … il sera narratif (oxymore ?? – pas certain mais c’est un autre sujet).
Dans le supplément consacré aux Supers héros (une bonne synthèse sur le genre) de nouvelles échelles de difficulté apparaissent, simplement en ajoutant +1 à chaque niveau de l’échelle précédente. Ce peut être une solution en passant directement au street level avec une échelle de 3 à 7.
Note : concernant la valeur cible de difficulté, il est très simple de demander uniquement une valeur supérieure à la valeur cible et non « supérieure ou égale ». Cela change la donne des pourcentages (ou revient à ajouter +1 au valeur cible).
En conclusion de cette partie, et pour clarifier mon propos possiblement décousu :
je pense personnellement qu’il y a une difficulté dans cette volonté d’ultra simplicité du D6 Forge. L’échelle probabiliste peut être rapidement malmenée si l’on ne parvient pas à bien gérer les bonus. Le Core Rules Book et le Masters Tome qui exposent le corps principal des règles conservent l’équilibre (a peu près). En revanche le Heroes & Powers essentiellement avec la règle du Focus telle qu’elle est écrite (+1 de bonus à une action précise) peut faire dérailler l’équilibre selon la définition de l’action – en cela il est bien précisé qu’elle droit être très spécialisée.
Ce qui est compliqué c’est que certains exemples ou options apportent des bonus mathématiques et d’autres simplement des effets narratifs avec ou sans contre partie. Au travers des trés bonnes idées et de la foutitude d’options cela part un peu dans tous les sens en donnant le sentiment d’une immense boîte à outils où l’on va devoir faire des montages de règles qui ne cassent pas le système. Par casser j’entends favoriser rapidement la réussite quasi automatique des personnages face à des situations très difficiles. C’est ainsi que l’un des grands enjeux va être la gestion de l’expérience et de la progression plus ou moins rapide des personnages – nous allons voir cela plus bas.

Tel quel avec le D6 Forge, un peu comme avec Open Legend où la granularité est très fonctionnelle et large, on joue pour avancer. Mais encore une fois c’est dit façon « murmure ». Sena Benoit devrait (doit ?) mettre cela plus en avant.
Pour « avancer », le système de résolution du D6 Forge est en ce sens facilitant, au moins c’est dit. Il est pensé pour être en version « vanilla » peu destructif, mais bel et bien constructif en éprouvant assez peu la résilience des personnages. Certes la mort est toujours possible ! A -5 HP elle vous serre la main. Mais selon moi ce n’est pas l’esprit premier du système et de plus les quelques Hero-point (les fameux) pourront éventuellement vous aider à éviter le pire. Le D6 Forge est construit pour propulser la narration et tramer de l’étoffe de héros. J’oserai même dire qu’ici le « crunch » propre à ce système est situationnel plus que mathématique. Les capacités ou les pouvoirs s’activent selon des conditions bien définies que la narration des rôlistes ou de l’animateur de la table devra contribuer à faire apparaître pour les rendre utilisables.
Mais attention à ne pas trop en mettre partout (de la narration je veux dire), le lancé du d6 peut devenir une coquille vide qui n’attend qu’un éventuel « 1 naturel » pour compliquer les choses.

Pour bien comprendre le ressenti que j’exprime, il faut souvent prendre en main ce type de système minimaliste (True D6 par exemple ou encore EZd6 -zavez vu j’ai pas dit Elemental). Le MJ va vite ressentir l’importance de nourrir la narration plutôt que d’appliquer une stricte résolution échec/réussite à coups de nombreux bonus/malus.
J’en profite pour citer FU 2.0 (ou Action Tales!) de J. Russell qui, dans ce même esprit, mais en jouant avec des pools de dés opposés est parvenu à favoriser autant que faire se peut l’explication ‘narrative » de capacités et leurs potentielles conséquences dans un jet de résolution lui-même éminemment narratif.
On voit aussi dans FAST RPG la même problèmatique du lancé de dé qui devient rapidement inutile car tous les plafonds de difficulté sont rapidement explosés. L’auteur cape donc le maximum à 9 sur 1d10 pour introduire le facteur minimal d’échec.
Le D6 Forge fait de même en imposant le 1 naturel pour une complication.
Toutes ses granularités minimalistes demandent une autre manière de jouer. On ne lance plus les dés aussi souvent que dans d’autres systèmes. La réussite est plus régulièrement automatique, l’histoire avance plus vite dans le sens des personnages et les complications proviennent plus des interactions que des mathématiques.
Comme je le précisais le Actions Tales ! (ou FU 2.0) de Nathan Russell s’applique à promouvoir le OUI Mais plus que le OUI pur ce qui peut nous faire tomber dans l’exés inverse d’un récit en permanence en train de se rattraper pour ne pas glisser hors des mains des personnages. Questworlds se positionne entre les deux mondes grâce notamment à l’utilisation du d20 qui donne plus d’effet de probabilité qu’un d6 ou d10 tout en jouant habilement avec la notions de maîtrise.
Le D6 Forge s’approche presque d’une logique de « diceless » tel qu’il est pensé mais ne l’assume pas. L’auteur annonce un supplément de règles « Ultimate tools & techniques ».
Je me demande ce qu’on y trouvera : certainement des tables de tirages aléatoires sur divers thèmes, mais adressera-t-il les probabilités et les imperfections de son moteur ? Pas certains.
Autant FAST RPG m’a vraiment donné l’impression d’un système profondément testé, autant le D6 Forge me donne l’impression d’un système couché rapidement sur l’écran avec moins de tests approfondis à la clefs. D’ailleurs Sean Benoit ne donne aucune info sur la Genèse et la maturation du système dans le Core Rules Book à l’inverse d’autres auteurs. Nous avons cependant quelques indices dans son très bon opus Craft your Adventure.

Bref, j’aime les deux extrêmes des systèmes de JdR : complexes ou très simples. J’aime moins les systèmes entre les deux (il y a de rares exceptions à cela) ; les ventres mous, les tristes sires de la résolution. Le D6 Forge s’installe sans coup férir dans la section facile à appliquer techniquement – remarquez que je n’ai pas écrit à facile à « maîtriser », au sens propre du terme.
Parlons de la Création de personnage qui donne le ton de l’ensemble
- Etablir les niveaux des trois caractéristiques (attributs) en dépensant quatre points.
Bon d’accord, il n’y a que trois attributs et quelques maigres points à dépenser pour une échelle de 0 à +3. Sachant que +3 est le pic humain, + 1 la moyenne et + 2 un niveau d’expert professionnel. J’ai toujours un peu de mal avec ce type d’échelle (c’est vous dire pourquoi j’aime FATE qui enjambe les « carac »).
Il est possible d’aller sur +4, +5,+6 pour certaines entités colossales ou en mode super héros (voir le supplément type manuel des monstres).
Évidemment mon envie de granularité et d’échelle large est ICI battue froid, foulée aux pieds et jetée à la poubelle. Il faut accepter cela ou passer son chemin.
Dans le paradigme du système, les trois attributs n’ont pas vraiment plus de valeur que les autres critères définissant le personnage. Ils ont potentiellement l’échelle de bonus la plus importante, mais le cumul d’autres facteurs peut les égaler ou les dépasser (comme avec d’autres systèmes cela dit).
Sur la granularité du jeu, il faut les voir comme des gros traits d’esquisse et accepter que nombre de créations posséderont les mêmes distributions d’attributs. Ce qui les différenciera seront leur Focus (les fameux) et les autres capacités et compétences.
C’est l’idée que deux scientifiques de haut vol avec un Mind à +2 se distingueront de part leur spécialités et autres qualités personnelles. Deux Guerriers bardés de muscles avec un body à +3 se différencieront par les capacités spéciales de combat, leurs techniques, leurs compétences. C’est le parti pris qu’il faut avoir en tête pour juger le système dans sa globalité : granularité réduite compensée par une mécanique de focus et d’effets situationnels plutôt que mathématiques.
L’augmentation d’une caractéristique reste une règle dont la base se trouve dans le Core Rule Book. Base élargie dans le Master’s book et surtout le Heroes & Powers. Dans le Core Rule Book, il faudra atteindre un objectif majeur pour envisager une augmentation d’attribut, mais en conservant une logique pour cette progression. Entendez qu’elle ne soit pas mécanique, mais narrative et impliquant le PJ. C’est un peu sec comme règles de progression, mais nous sommes dans les règles de base.
Dans le Heroes & Powers, on retrouve l’idée des Miles Stone (sorte de points d’étape) mineurs, majeurs ou épiques. Le « Mile Stone Major » permet d’ajouter un FOCUS à une caractéristique : c.a.d un + 1 uniquement dans le cadre d’une utilisation contextualisée ou situationnelle. Par exemple, Conan dans la force de l’âge avec son + 3 en physique pourrait avoir un + 1 lorsqu’il s’agit avec sa force (Might) de soulever ou porter. Lorsqu’il y a peu de caractéristique, la notion de spécialité ou de Focus reste intéressante à la bonne définition des capacités du personnage. Mais ici cela devient limite compte tenu de l’échelle de difficulté.
En tous les cas, il faut relier entre eux le Core et un ou deux suppléments pour identifier et synthétiser les règles de gain d’expérience les plus optimales.

Après cela il faut :
- Choisir 5 compétences parmi les 10 qui sont proposées (dont 5 de base et 5 avancées)
Une compétence acquise donne un bonus +1. Posséder une compétence à +1 représente une solide expérience professionnelle. Lors d’un test une seule compétence entre en jeu. En revanche, la compétence peut être couplée avec des attributs différents selon le contexte d’utilisation.
Dans le Heroes & Powers, deux options bien vues permettent d’enrober la notion de compétence de plus de crunch et de narration. Il est possible de donner une spécialisation à une compétence. Une spécialisation pourra apporter soit un +1 (encore ! et oui erreur d’équilibrage selon moi) dans le cadre strict d’usage de la spécialisation, soit l’accès à une technique particulière, soit une utilisation efficiente d’une ressource, soit une signature particulière. Une spécialisation pourra également donner une diversification d’usage à la compétence : comme élargir la portée de la compétence, l’utilisation possible d’outils non adaptés, d’offrir plus d’options de résultat ou de contexte d’application. Ces deux options pouvant se combiner dans une logique de progression : d’abord la spécialisation, puis la diversification.
Le Heroes & Powers détaille judicieusement comment progresser dans une compétence ou une capacité spéciale. Trois niveaux de maîtrise sont détaillés. - Choisir 2 capacités spéciales : je ne vous fait pas un dessin. Appelez cela des dons, des prouesses, des pouvoirs etc.
- Choisir son équipement qui pourra éventuellement donner un bonus.
Dans le Heroes & Powers on trouve les options suivantes pour éttofer la création.
- Choisir la spécialité de chacun de attributs (le fameux focus)
- Choisir sa culture
- Choisir son background
- Choisir son théme de personnage
- Choisir histoire personnelle
- Choisir événements formateurs
- Choisir connexion de départ
- Choisir ses faiblesses
Pour la progression liée au gain d’expérience, j’ai déjà évoqué le fait que le Core Rule book est un peu léger sur le cadrage de la progression en laissant une grande liberté pour caler son évolution. En revanche c’est le Heroes & Powers qui, pour ma part, à totalement clarifier la progression avec la logique de miles stone.
Il n’y a pas de niveau et de points d’expérience dans D6 Forge à la différence d’un FAST ou d’un True-D6, mais une échelle d’objectif personnel et de groupe qui permet de flécher des récompenses qui souvent doivent coller au mieux à l’histoire vécue. On a droit à des focus de caractéristiques, des spécialités de compétences, des capacités spéciales, des connexions etc… Bref tout ce qui compose un personnage.
Je vous livre ici un exemple de statblock de créature pour faire synthèse (le classique ours des cavernes)

De manière abrupte, je vais maintenant conclure parce que j’en ai marre de ce billet.😜
La gamme D6 Forge possède un gros point positif précisé plus bas.
En revanche le système est, pour moi, encore bancal dans son équilibrage et sa mécanique de résolution. Soit on le joue au plus simple sans option, juste avec caractéristique + compétence + bonus/malus pour les tests, et avec juste des effets narratifs pour toutes les autres capacités ; soit ça ne tiendra pas la route longtemps avec les options et l’on se retrouve avec un bon jeu narratif ou le d6 est portion congrue de l’ambiance. Un système qui recèle de nombreuses options pour moduler son type de jeu mais qui déraille constamment en raison de son échelle de puissance et de difficulté dés qu’il convoque les probabilités.
Le cul entre deux chaises dirais-je !
Remarquez que je n’ai pas abordé le système de combat. Rien de neuf : round de 6 seconde, initiative, une réaction, une action majeure et une mineure. Comparaison cumul d’attaque contre défense et le dégât des armes est fixe. Un peu de crunch avec des situations tactiques, des conditions etc. Ca se tient et même s’il y a des points de vie, leur volume demeure très contenu. Cette partie là tourne bien car on se retrouve sur une comparaison de chiffre sans limite. Celui qui accumulera le plus de bonus aura le gain.
Son gros point positif – parce qu’il y en a un et pas des moindre – reste la force de sa synthèse sur des genres, des notions ou des thèmes. Phrases courtes, liste à puces, l’auteur écrit simple, écrit efficace, et concret pour tous les rôlistes, débutants ou aguerris. Il a le talent de décortiquer la pratique, de rappeler les bons principe, de donner des astuces et clefs de contrôle, des listes de choix pour aider à la décision ou à l’imagination, des orientations de styles et de saveurs.
Ses suppléments de genres sont (pour ceux que j’ai pu lire) complets, et fortement didactiques. Globalement D6 Forge propose un travail d’analyse de ce que doit être une bonne maîtrise de séance ou plus largement de ce qu’est le jeu de rôle. Et cela quel que soit le style de jeu (classique, moderne, narratif, technique, roleplay ou mécanique etc.).
Sean Benoit, l’auteur, a même sorti un supplément sur « comment faire son système de règles et son JdR ». Pas lu, mais le sommaire m’a paru riche et intéressant. D’ailleurs, pour vous faire une idée, vous avez accès en preview sur DrivethruRPG à tous les sommaires des parutions de la gamme. Et en quatre mois, la gamme s’est déployée avec plus d’une dizaine de suppléments. C’est bien la première fois que je vois cela.
C’est d’autant plus rageant d’avoir cette gamme intéressante (de très bons guides) et riche alors que le système me parait trop fragile.
Nous avons tout de même testé le système « vanilla » (juste le Core) dans une version dungeon crawl avec des persos qui n’ont pas eu de « up » durant les trois courtes séances, et qui n’avaient pas de focus bien entendu ou de spécialités de compétence. C’était agréable, simple à jouer et fluide. Cela m’a rappelé SIMULACRE par certains côté. Mais l’on a bien senti que dés qu’un +1 sera gagné la relation à l’opposition des probabilités sera plus diffuse et l’on ne regardera que l’apparition d’un 1 ou d’un 6 dur le dés. Pour ma part le D6 Forge n’a pas résisté à la comparaison avec d’autres mécaniques tout aussi simples mais robustes et mieux pensées.
Résumons nous : très bonne gamme fourmillant de bons conseil s et d’idées, MAIS système défaillant qui mériterait de resserer les boulons ou de se voirajouter un suppléments de mécaniques pour tenir le suspens du dé. Ou encore de devenir diceless !
UN GROSSE DEMI-TEINTE QUE CE D6 FORGE ! (note prévisionnelle du tableau de synthèse à venir 2,5 pour ses qualités de sysnthèse et de guide)

Niveau : | Faux débutant |
Type : | Générique |
Genre : | Multigenre |
Système : | 1d6 |
Simulation : | attributs + compétences |
Edition : | PRO (presque) |
Maîtrise : | simple (presque) |
Matériel : | PRO |
Substance : | assez forte |
Originalité : | Moyenne |
PLUS : | trés bonne synthése des concepts de JdR ; trés bonne synthése autours des genres ; |
MOINS : | équilibrage ; granularité |
Ma Note : | 2,5 |